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Pas de panique

Le chaos mental de Toméo Vergès
" Spasmes, contractions, coliques. Corps stressés, sinistrés. L'auscultation de Pas de panique, nouvelle pièce du chorégraphe Toméo Vergès, localise le point névralgique : le ventre. Pulsions ou terreurs, tout part de là dans un jet qui propulse les danseurs hors d'eux-mêmes, les lancent au galop dans une débandade de gestes urgents. Jusqu'à la crise de nerfs, la diarrhée. Jusqu'à se déculotter et se balader pantalon aux chevilles. Jusqu'au viol de l'autre. Mystère des fantasmes indicibles, des peurs secrètes qui vous crispent les entrailles sans prévenir. A partir d'un fait divers (un prof trucide un de ses élèves lors d'un dîner), Pas de panique met la chorégraphie à l'épreuve du chaos mental, libérant des pics d'adrénaline pour plonger quelques secondes plus tard dans une vague de marasme. Dommage que le registre (fétichisme, voyeurisme...) s'avère un brin ordinaire. Mais qu'il vous vrille doucement les tripes (scène d'auto-ficelage d'une fille) ou vous les torde d'un coup sec (fureur contre un infirme dans un fauteuil roulant), Toméo Vergès ne craint ni le scabreux (parfois très drôle), ni le ridicule, tant sa danse théâtrale dépasse toute plate illustration. Eruptive, son écriture évolue avec âpreté sans se priver d'élégance, se pliant à la contrainte de l'histoire, tout en la balayant parfois d'une bossa nova désinvolte. Roman noir sur fond rouge (tout le décor est " saignant "), Pas de panique a pour cadre un univers fragmenté, zébré de flashes nerveux. Lancé il y a sept ans sur la scène chorégraphique en brandissant un couteau de boucher (ses parents tenaient une boucherie) dans Chair de poule, le Catalan foutraque demande aujourd'hui au docteur Freud de percer le secret de ses pulsions. En exergue à Pas de panique, cette phrase de Kafka : " Quand j'y pense, je dois dire que mon éducation m'a fait beaucoup de mal. "

Rosita Boisseau, Le Monde, 25 octobre 1999


Les Corps en panique de Vergès
" .... Violence. Tout autre univers, rouge sang au forum culturel de Blanc-Mesnil. Toméu Vergès écrit dans Pas de panique, une fiction autant théâtrale que chorégraphique, les deux disciplines se mêlant plutôt bien à son habitude. Le plateau noir et rouge porte des traces de fractures, de séismes - thèmes circulant dans tout le spectacle. La boîte est fermée par des tentures rouges et par un rideau en lamelles de plastique. L'espace n'est pas un. Il y a le coin du fauteuil roulant mémoire de l'accident, lui-même accidenté, le coin télé, le coin salon-téléphone, le coin podium aux marches qui ne vont nulle part. Le tout traité sur fond de fête foraine. Rien de bien gai dans le train fantôme. L'univers fragmenté du chorégraphe livre des scènes crues, violentes, même s'il tient tout cela à distance d'humour. Les femmes (Chiara Gallerani et Anna Rodriguez) sont magnifiques, juchées sur leurs talons, renversées et passant d'un homme à l'autre, inquiétantes lorsqu'elles jouent les siamoises à moustaches, affolées dans des courses à bout de souffle qui n'avancent pas ou ligotées sur une chaise. Les hommes (Toméu Vergès, Samuel Mathieu, Alvaro Morell, François Grippeau) sont pris de besoins urgents, se défient en lutteurs, ou font les morts sur une table d'opération. Les scènes indépendamment sont toutes dignes d'intérêt. Il leur manque de se connecter plus franchement les unes aux autres, leur juxtaposition, leur non-prolongement volontaires devenant un peu systématique au fil du spectacle. Mais, pas de panique, les matières, les interprètes sont là et c'est déjà beaucoup. "

Marie-Christine Vernay, Libération, 23-24 octobre 1999

 

Le Twist des scarabées
" Un spectacle de Tomeu Vergès, c'est du catch métaphysique interprété en costume flanelle trois boutons. Quelque chose d'incongru et de violent qui place le spectateur en décalage. Quelque chose de proche, dans l'esprit, d'une démarche surréaliste. Cette dernière création renforce ce sentiment mais en modifie sensiblement la nature. Succession de saynètes, jeux de fêtes foraines, jeu de ficelles, jeu de garçons, le tout entrecoupé par un retour périodique de petits numéros de twist mélancolique du meilleur effet déconnecté, la pièce dégage ce sentiment d'étrangeté profonde et de sourde inquiétude... "

P. Vérrièle, Les Saisons de la Danse, déc. 1999

 

Entre Twin Peaks et Bunuel, le chorégraphe Tomeo Vergès nous embarque dans un train fantôme nommé désir, peur, solitude.
Danse avec le feu

" " Roulez, roulez, petits bolides, bienvenue dans la maison des frissons, des sensations... " Pas de panique démarre sur fond d'une fête foraine plutôt glauque dans un décor rouge sang zébré de noir. Embarquement dans le train fantôme, la tension monte. Quatre hommes et deux femmes ouvrent les jeux de désir, de frustration, de solitude comme autant de portes à vous ficher la frousse. Cocktails dont on ne sait si la composition se révélera poison violent ou boisson tropicale - tables d'opération, viols, accidents, ou tout simplement peur de se perdre soi-même composent ce pas de danse qui n'a rien d'une promenade de santé. Victimes désirantes, bourreaux coupables, tout s'entrechoque, ne laissant au spectateur retourné sur lui-même que le choix d'une descente à travers ses propres obsessions. Il plane sur la scène une atmosphère à la Twin Peaks. La bande-son (remarquable travail de Jean-Jacques Palix et Eve Couturier) donne le tournis, l'ensemble fleure bon la série noire. Les femmes prennent leurs distances, véritables héroïnes hitchcockiennes, magnifiques d'arrogance et de détachement, toujours prêtes d'un joli coup de talons aiguilles à enfoncer les certitudes des hommes qui roulent des mécaniques. Elles sont pourtant fragiles, au moins autant que leurs homologues masculins, qui sous leurs airs de petits coqs laissent paraître les désarrois d'une virilité fatiguée d'avoir toujours à s'affirmer pour convaincre. De temps à autre, une sorte de madison vient rythmer les séquences, petite phase de rémission avant les prochains rebondissements, car Pas de panique a aussi des allures de bande dessinée. Tomeo Vergès, un excellent scénariste, sait faire monter le suspens, manier l'humour et laisser un espace-temps bien dosé pour que vogue l'imaginaire de chacun. Les images s'aiguisent comme la lame du couteau, à l'instar d'une danse anodine qui prend progressivement l'apparence d'une préparation pour un rite vaudou. Chaque personnalité a apporté son univers, et les danseurs de la compagnie, Anna Rodriguez, Chiara Gallerani, Alvaro Morell, Samuel Mathieu et François Grippeau, ont tous de sacrés caractères. Ils s'adonnent à leurs peurs, révèlent, l'air de rien, des secrets que l'on ne confierait qu'à un journal intime, laissant le soin au chorégraphe d'y ajouter sa touche d'inquiétante étrangeté. Tomeo, qui est originaire du pays de Dali et Buñuel, vous porte l'intime sur un plateau en vous l'arrosant d'une délicate sauce surréaliste. Pas de panique affirme un genre où masculin et féminin s'affichent ostensiblement pour mieux brouiller les pistes et questionner sur la part de l'autre. Si le chorégraphe et ses acolytes se jouent des genres, c'est seulement en allant piquer au théâtre pour donner à la danse, et vice-versa. Traumatismes de gamins, mémoire collective, délires ou fantasmes, les scènes au fur et à mesure qu'elles s'enchaînent nous ramènent à nous-mêmes. Cortège d'angoisses, futiles pour les uns, obsédantes pour les autres, on panique quand même un peu. "

Véronique Klein, Les Inrockuptibles, 25-31 janvier 2000

 

Pas de Panique, chorégraphie de l'élégant Toméo Vergès
Moments suspendus, fulgurances, abandon, lutte, obsession : l'instinct est au cœur de cette création.
" ...C'est en chorégraphe de la pulsion et de l'instinct que semble se positionner ici l'artiste catalan. A ses danseurs et à lui-même, il semblerait demander de danser dans leur corps. Au fil de la représentation, même l'immobilité devient charge d'obsession... D'une intimité parfois burlesque, cette belle et lente chorégraphie permet d'assister à de fulgurantes images telles que femme à la poupée désarticulée, mouvements anodins de pantins, étreintes de lutteurs. Toméo Vergès capture au masculin et au féminin des solitudes du quotidien. "

J.-D.B., La République du Centre Ouest, 16 décembre 1999

 

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