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meurtres d’intérieur

NOVO
n°7 (revue bimensuelle) mars 2010, pages 50 et 51
TOMÉO VERGÈS, LA DANSE SENSATIONISTE
Par Caroline Châtelet (…)

il y a dans le travail de Toméo Vergès une présence du corps particulièrement prégnante, au sens le plus charnel du terme. Travailler la danse n’étant pas nécessairement travailler le corps, Toméo Vergès a, lui, choisi d’explorer les possibilités du second. Rien dans ses spectacles d’une danse éthérée, exécutée par des figures à la plastique parfaite. Ce sont, au contraire, des corps concrets et bien réels qui investissent le plateau, produisant une danse organique et puissante. Entre plaisir et gêne, les créations de la compagnie font mouche, prenant aux tripes et se gravant dans la mémoire.

JUBILATIONS INTIMES
Ce sont ces persistantes émotions que l’on éprouve à la découverte de meurtres d’intérieur. Dans un espace épuré et dénué d’accessoires, la dernière création de la compagnie se construit autour de trois solos de femmes. Comme Toméo Vergès l’explique : «J’ai souhaité explorer la féminité dans sa contemporanéité. N’ayant jamais travaillé uniquement avec des femmes, je me suis lancé dans cette aventure avec Sandrine Maisonneuve, Sandrine Buring et Antje Schur, collaborant pour la première fois avec ces deux dernières. » Ensemble, l’équipe puise dans l’imaginaire collectif ainsi que dans la singularité des interprètes. Les solos sont donc, intimement portés par « ces trois femmes particulières, chacune s’appropriant à sa façon les questionnements soulevés en équipe. » On n’en doute d’ailleurs pas une seconde, tant les pièces sont organiques, chacune des danseuses partant d’une situation initiale propre – tentative de définition via « je suis… » pour Antje Schur, répétition près de cent trente fois d’un même parcours pour Sandrine Maisonneuve, mise à nue pour Sandrine Buring – pour épuiser ce cadre donné. Dans ce qui relève d’un travail sur leur propre motif, il s’agit pour chacune « de lutter, d’effleurer toutes les choses qui luttent en nous, et de les donner à voir. Mais elles ne sont pas dans la contrainte, il y a du plaisir et ces deux éléments provoquent la friction. » Cette friction est d’ailleurs directement adressée au public, par leur « regard frontal, qui interpelle. Chacune d’elles se montre » sans s’exhiber, Toméo Vergès précisant « qu’elles donnent à voir un paysage » questionnant par là notre présence au monde. Et derrière l’apparente austérité du dispositif se révélent des univers qui entre malices, tumultes, insolences et moqueries enfantines, bruissent de chacun de leurs gestes. Des mouvements amplifiés par des robes de papiers, « pages blanches sans connotations sociales ou vestimentaires particulières » sur lesquelles chacune écrit sa propre féminité. Plis, froissements et autres pulsations intimes viendront marquer leur robe, rappelant une fois encore que même en proie à des luttes ou à des obsessions universelles, chacune travaille son propre matériau…

LE GESTE EN QUESTION
Si meurtres d’intérieur, à l’image des travaux précédents de Toméo Vergès, contient une puissance charnelle, la pièce constitue cependant un tournant dans l’histoire de la compagnie. Comme lui-même l’explique : « Ayant toujours été confronté au double travail de la danse et du théâtre, notamment lors de mon travail avec Maguy Marin sur May B, continuer dans cette voie au sein de ma compagnie m’était naturel. Mais dans mes dernières pièces, la théâtralité m’intéressait moins. » Voilà la raison pour laquelle meurtres d’intérieur ne comprend pas d’objets « béquilles » pour le chorégraphe : « C’est très subjectif, mais j’ai parfois utilisé les objets en remplacement d’une chose, d’un être, des personnes sur le plateau… » En se contraignant à leur absence, Toméo Vergès veut réinterroger son geste, « ce qui se passe sans parachutes pour tenter d’entendre, d’écouter le besoin, le cri. Y aller en dépit des risques est un challenge, mais l’angoisse qu’ils produisent est à utiliser comme un moteur de créativité. » Soit une volonté assumée, portée par la nécessité de se remettre en danger. (…)

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